Quelle est ta relation avec ton espace ?

Mosaïques : DossiersScience

vendredi 11 décembre 2015

Les formations sur le handicap se ressemblent plus ou moins à la longue : qu’est-ce que le handicap, quelles sont les familles, quelles sont les conséquences dans la vie professionnelle, familiale, etc, etc. Il est une chose qui n’est jamais abordée ou pas assez à mon goût : la relation entre la personne et l’espace. Cette relation me paraît fondamentale car elle constitue la base de la vie quotidienne et ses répercussions sont alors profondes.

Au premier commencement était…

Le mouvement ! Dans les pages 159-160 du livre Le charme discret de l’intestin, Giulia Enders lance l’idée que :

« La seule et unique raison d’être un cerveau, c’est le mouvement. […] Il n’y a pas d’autre justification à nos muscles, pas d’autre justification aux nerfs de ces muscles – et sans doute pas d’autre justification à notre cerveau. Tout ce qui a un jour pu changer le cours de l’humanité n’a été possible que parce que nous sommes doués de mouvement. »

Seulement, avant de se mettre en branle, il faut déjà savoir d’où nous partons et vers quel endroit. Il est donc crucial de connaître l’espace dans lequel nous nous trouvons. Sauf que notre cerveau est enfermé dans sa boîte crânienne, telle une prison hermétique. Il ne dispose que de quelques fenêtres lui donnant un aperçu de l’extérieur. A partir des bribes d’informations, il va construire sa réalité, c’est-à-dire le monde qu’il conçoit. Cette construction se joue donc sur deux niveaux : celui de la perception et celui de la synthèse d’informations. Concentrons-nous sur la perception de l’extérieur (lire La réalité changeante du cerveau).

Les fenêtres sensorielles

Il est communément admis que l’être humain capte les stimulations extérieures via cinq sens : la vision (l’œil), l’odorat (le nez), le son (l’oreille), le goût (la bouche) et le toucher (la peau).


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Imaginez alors que la prison est dotée de cinq fenêtres, chacune faisant 1 m2. La surface totale est donc de 5 m2. Quoiqu’il se passe, cette surface totale ne peut jamais dépasser cette valeur. Sauf qu’en réalité, nous privilégions toujours un ou plusieurs sens. Certaines personnes sont dites « visuelles » et d’autres « auditives » quand il ne s’agit pas des autres sens. La fenêtre « vision », par exemple, va alors occuper une plus grande surface en devenant une double fenêtre. Et la fenêtre « audition » va rétrécir en œil-de-bœuf (surface plus petite) mais le total fera toujours 5 m2.


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En réalité, nous avons d’autres sens méconnus !

  • La proprioception qui nous renseigne sur la position de nos membres via des récepteurs placés dans les muscles, les tendons et les articulations. La proprioception nous donne la capacité de mettre le doigt sur le nez et non dans l’œil, y compris pour les aveugles. De déceler les membres fléchis ou étirés, etc.
  • L’équilibre décelé par le vestibule qui est situé dans l’oreille interne, à côté de la cochlée. Il est souvent associé à la vue et au toucher. Et pourtant, nous sommes capables de pirouetter dans le noir, sur la pointe des pieds, sans tomber (avec un peu d’entraînement parfois).
  • La thermoception, parfaitement indépendante du toucher, est l’aptitude à percevoir la température. Les récepteurs sont essentiellement disséminés dans l’épiderme mais aussi à l’intérieur de notre corps (boire une boisson froide ou chaude par exemple).
  • La douleur, encore distincte de la température et du toucher, nous renseigne sur l’état de notre corps. Sans elle, nous mourrions rapidement faute de savoir réagir rapidement en cas de brûlure ou de maladie. Ou même quand elle nous renseigne qu’un membre est mal positionné.

Tous ces sens sont autant de fenêtres sensorielles qui interagissent entre-eux et donne un aperçu plus ou moins détaillé au cerveau du monde extérieur. Il peut alors « piloter » notre interface pour partir d’un point A à un point B. Tout notre bordel organique se met en branle : texture du sol OK, température de l’air OK, odeur agréable OK, personne attirante OK, voix de sirène OK, tendre le doigt, OK, PAF ! dans la gueule pas bon, joue brûlante, alerte, température du visage en hausse, alerte alerte ! Et ainsi de suite.

J’insiste dessus : quel que soit le nombre de sens, la surface totale ne peut dépasser une certaine valeur. Que se passe-t-il quand un sens vient à manquer ou change de nature ? Quel est le rapport avec l’espace ?

L’espace changeant

Dans mon cas, ma vision est une large baie vitrée et mon audition un judas. Les autres sens ne sont pas en reste avec ma plus grande sensibilité au toucher (vibrations) et aux odeurs. Le fait de pratiquer la LSF a certainement influé sur ma proprioception : à quel endroit placer les mains, plier tel ou tel doigt, adapter l’expression de mon visage et contrôler les muscles faciaux…

Mon espace est visuel pour la plus grande partie et je me déplace en conséquence. Je me mets toujours face à une personne pour la comprendre (lecture labiale ou LSF). Et j’attends toujours qu’elle me regarde avant de m’exprimer. Qui ne me regarde pas, ne m’écoute pas. Même si elle entend et peut écouter avec ses oreilles. C’est profondément ancré en moi et cela me perturbe beaucoup quand une personne s’exprime en évitant mon regard.

Je touche les gens pour les appeler, pour diriger leur regard vers un détail repéré dans mon espace. Et souvent, les gens ne voient pas ce détail. Ils me paraissent aveugles, ils ne font pas attention à leur environnement, d’un point de vue visuel. Je me place de telle sorte que la personne puisse me voir sans être gênée et vice-versa. Dans les groupes, je privilégie le cercle ou l’arc-de-cercle pour échanger sereinement avec tout le monde. C’est pourquoi les tables rondes ont ma préférence dans les restaurants. Ma yeux bougent en permanence, mon champ visuel est plus large et plus sensible à la périphérie. Il suffit d’un mouvement repéré du coin de l’œil, d’une ombre ou d’un courant d’air pour que je réagisse aussitôt.

Et qu’en est-il de l’aveugle ? Il construit sa représentation mentale de l’espace à partir de son audition et de son toucher. Comment va-t-il faire pour interagir avec une personne s’il ne la voit pas et s’il ne l’entend pas ? J’ai pris l’habitude, face à une personne aveugle, de me signaler, de décliner mon identité si c’est un premier contact, et de la prévenir quand je m’absente (pour aller aux toilettes du restaurant par exemple). Et s’il veut discuter dans un groupe où tout le monde parle en même temps dans un environnement bruyant ? Sa proprioception et son sens de l’équilibre sont également modifiés pour arriver à pratiquer un sport sans se casse la figure. Quel est son espace quand il joue au football, à la pétanque ou participe à une course d’athlétisme ?

Même chose pour le rouleux. Plus ou moins paralysé, la perception de son corps est bien plus différente que la notre et il manipule un fauteuil. Manuellement ou électriquement, peu importe, il se déplace avec. Il doit anticiper les obstacles sur son chemin, trouver le chemin le plus commode et le moins fatigant. La plupart du temps, il fait 1m35 et il regarde les gens vers le haut. Ses muscles du cou sont peut-être plus développés à force ? Comment profiter d’un paysage quand des jambes lui cachent la vue ? Et, tout comme la personne de petite taille, saisir un objet perché sur un placard ?

Le cas du handicap mental fera l’objet d’un autre article car il concerne le niveau de synthèse d’informations à partir des perceptions sensorielles. [EDIT] C’est fait, lire : Quelle est ta relation avec ton espace ? (suite et fin).

Il n’y a pas que le handicap

Ainsi, nous pouvons voir que la perte d’un sens a une influence considérable sur notre relation avec l’espace : constructions et représentations mentales, déplacements, interactions avec les objets, communication avec les personnes. Cet aspect n’est hélas pas assez abordé, voire jamais, dans les formations sur le handicap. imaginez si la société était régie par des architectes en fauteuil roulant, sourds, aveugles ou de taille différente ? Quelles seraient les répercussions sur les réseaux de transport, les constructions, les agencements des bureaux et j’en passe ?

Nous pouvons même aller plus loin en prenant le cas de l’ajout d’un sens. Que se passerait-il si nous pouvions communiquer par des infrasons comme les éléphants ? Scanner l’environnement par un système d’écholocalisation comme les chauve-souris et les dauphins ? Détecter l’activité électrique des proies comme le requin ? Sentir l’air comme la langue du serpent ? Voir d’autres couleurs comme les abeilles qui détectent les ultra-violets ? Ou est le handicap, ou est l’avantage ?

Et le danseur ? Le comédien de théâtre ? Le joueur de rugby ? Le violoncelliste dans un orchestre ? Comment se déplacent-ils ? Comment ils perçoivent l’espace ? Et toi, dans ta vie quotidienne, quand tu ris, pleures, cries, sautes, cours ?


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2 Pierrot ont pris leur plume. Et toi ?

  1. J'pensedoncj'suis

    ton article soulève bien plus d’interrogations que l’on pourrait croire …en tout cas cette machine merveilleuse qu’est notre corps humain s’adapte et se modifie en permanence suivant le ou les organes déficients ; …physique et psychique d’ailleurs mais quand à espérer avoir encore des sens supplémentaires alors là Stop ! Quand on voit déjà le bordel qu’on a mis seulement avec nos cinq sens …arrghh ça fait peur !!! :mrgreen: 😈

    lundi 14 décembre 2015 à 22 h 10 min
  2. Sirtin

    Huhu et dire que certains veulent justement le faire via des prothèses : c’est le transhumanisme…

    mardi 15 décembre 2015 à 15 h 56 min

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