Le champ visuel des sourds

Mosaïques : HumanusScience

mercredi 28 octobre 2015

Avant-hier, j’ai participé à une étude de neurosciences menée par des chercheurs du Laboratoire CNRS de Psychologie et de NeuroCognition de l’Université de Grenoble. Elle s’articule autour de deux axes de recherche : le traitement de l’information visuelle dans le champ visuel périphérique et le traitement des visages par les sourds.

L’idée est que le cerveau d’une personne sourde compenserait l’absence d’informations sonores en stimulant et en développant un ou plusieurs sens restant comme la vision. Vraiment ? Alors vérifions cette hypothèse et c’est comme ça que je me suis retrouvé assis devant un écran à fixer une croix placée devant mes yeux. Je devais appuyer sur un bouton le plus vite possible dès que j’apercevais un carré blanc quelque part sur l’écran. Facile ? Sauf que je n’avais pas le droit de bouger la tête, ni mes yeux. Je devais être assis, raide comme un piquet, à fixer la croix sur l’écran et appuyer comme un malade (bon, j’exagère…) sur un bouton.

Puis, je me suis retrouvé devant un ordinateur à scruter des visages qui apparaissaient rapidement avant de sélectionner le type d’émotion : colère, joie, peur, surprise, neutre, dégoût. Pas si facile que ça car seule la face est visible, pas le corps ni les cheveux, ni le cou et les oreilles. Et parfois c’était un mélange de plusieurs émotions donc plusieurs interprétations étaient possibles. L’idée est de vérifier si les sourds perçoivent davantage de détails sur le visage pour déterminer l’émotion qui en ressort afin de compenser l’intonation de la voix.

Ce qu’il en ressort, d’après les premiers résultats, est que les sourds ont effectivement un champ visuel plus large. Ce dernier est également plus sensible à la périphérie aux mouvements et à la lumière. Par contre, d’après d’autres études, la vision dans la fovéa, la partie centrale de l’œil, n’est pas meilleure chez les sourds que chez entendants. Or, cette vision centrale est cruciale dans la reconnaissance des couleurs, des symboles et des mots.

Champ visuel d’un humain

[Source image]

Ces résultats préliminaires confirment mon vécu quotidien. Il n’est alors pas étonnant que je réagis au quart de tour au moindre mouvement à la lisière de mon champ de vision. Je braque la tête vers le truc pour mieux le reconnaître ensuite. Tiens, un(e) passant(e), quelqu’un qui m’appelle, une icône qui gigote sur un écran, un reflet de lumière et j’en passe.

Je sais également, par d’autres études scientifiques, que les aires sensorielles sont différentes entre un cerveau d’une personne sourde et celui d’une personne entendante. Ce dernier a l’habitude depuis sa naissance de mobiliser les aires visuelles, à l’arrière du crâne, et les aires auditives, situées au-dessus des oreilles.

Les aires corticales sensorielles

[Source image]

Or, les aires auditives d’une personne sourde de naissance ne sont pas stimulées. Ceci entraîne une modification de la fonction des aires cérébrales. Les aires auditives vont être impliquées dans la perception visuelle : l’analyse des informations visuelles devient alors plus riche et plus précis. Encore une fois, je ne suis pas étonné quand je constate à quel point les entendants me paraissent aveugles. Et justement, à propos des aveugles, leurs aires visuelles sont activées par le toucher. Ce sont deux exemples de la fameuse plasticité cérébrale.

Après, il existe des personnes sourdes qui portent des appareils auditifs ou un implant cochléaire. Leurs aires auditives sont à nouveau impliquées dans le traitement des informations sonores. Mais aussi dans celui des informations visuelles ! C’est moins clair à ce niveau et je n’ai pas tout compris. Une chose est sûre : l’imbrication des aires visuelles et auditives est essentielle à la bonne compréhension pour ces personnes appareillées. Pas étonnant donc que ce soit plus facile pour moi de lire sur les lèvres une fois mes appareils auditifs en marche même si je ne comprends pas ce que j’entends.

Il reste encore des choses à découvrir, tout n’est pas encore élucidé et c’est ce qui fait la beauté de la science. Chercher à mieux comprendre tout simplement et dévoiler au passage que le handicap n’est pas forcément là on le croit. C’est peut-être une richesse encore insoupçonnée.

En savoir plus…
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