Les neurones de la lecture

Mosaïques : CultureLectures

mercredi 16 avril 2008

Quand nous lisons, quels sont les mécanismes cérébraux mis en jeu ? Est ce qu’ils différent selon la langue écrite ? Autant de questions troublantes qui sont abordées et détaillées dans le livre de Stanislas Dehaene : Les neurones de la lecture.


[Scan de la couverture]

Ce livre est passionnant car il montre de façon rigoureuse ce qui se passe dans notre cerveau : de la perception des mots à la signification de leur sens. Surtout, qu’est ce qui se passe pendant la période critique où l’enfant commence à acquérir la lecture ? Attention, il ne s’agit pas de certitudes mais un ensemble d’hypothèses raisonnables basées sur des résultats expérimentaux. Il est inutile de détailler les propos de Stanislas Dehaene. Il en ressort cependant que deux voies sont utilisées pour la lecture :

  • La voie phonologique ou indirecte : le cerveau assemble des lettres en groupes (graphèmes). Ces groupes sont associés aux sons élémentaires de la langue parlée (phonèmes). Par ce procédé, le sens du mot est reconnu en le prononçant à voix haute.
  • La voie directe, lexicale ou orthographique : le cerveau analyse visuellement le mot et le recherche dans sa mémoire afin d’en extraire le sens. Il est inutile de passer par la prononciation.

Si l’une des voies est négligée, l’acquisition de la lecture devient très laborieuse. Ces deux voies sont complémentaires et s’entremêlent. Encore maintenant chez les bons lecteurs. Avez vous conscience de votre petite voix mentale ? De même, l’auteur démontre que la méthode globale, basée sur la reconnaissance des formes des mots, est calamiteuse car elle ne respecte pas les deux voies. Enfin, il soulève le paradoxe de la lecture : comment le cerveau s’est-il adapté à la lecture ? Cette innovation culturelle est si récente (à l’échelle de l’évolution) que le cerveau n’a pas eu le temps de s’adapter. Ce qui est très intéressant est qu’il retourne l’optique : c’est l’écriture qui s’est adapté aux contraintes cérébrales. Il a fallu des milliers d’années et de tâtonnements avant de connaitre les langues écrites actuelles !

Mon regret est qu’il n’aborde pas suffisamment l’écriture. Je pense que les circuits cérébraux sont différents mais comment en être sûr puisque cet aspect n’est pas discuté ? Ma critique essentielle porte surtout sur les images qu’il s’en sert pour avancer ses arguments. Il est difficile, même pour moi qui me suis spécialisé dans les neurosciences, de quoi précisément elles parlent. Par exemple, je vois des graphiques sans savoir ce qu’indique les abscisses et les ordonnées… Malgré tout, ça vaut le coup d’œil et c’est abordable au grand public (à condition d’avoir quelques bases de ce qu’est un neurone, une synapse).

Ah oui ! J’ai envoyé un mail à l’auteur pour lui poser la question de l’écriture. Je lui ai demandé aussi son avis à propos des enfants sourds de naissance. Comment s’acquiert la lecture en l’absence de sons ? Que se passe-t-il pour les enfants appareillés ou implantés ? Ils entendent sans forcément saisir le sens des sons… Et pour la lecture labiale ? Les voies sont identiques ou non ? Autant de questions qui me laissent sur ma faim sur le fonctionnement du cerveau en l’absence d’audition (que la communication soit le français oral ou la langue des signes françaises, LSF, ou autre)…

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  1. Micromégas

    Oui, cher Sirtin, les questions que tu poses à l’auteur sont des plus pertinentes ! Et les neurosciences oublient que certains lecteurs sont sourds … ou qu’ils sont chinois (car tu comprends bien que la voie phonologique leur est inutile aux uns comme aux autres !). Et horreur ! les chinois ont appris à lire pendant des siècles par la voie globale !

    Il y a autre chose que cet auteur oublie totalement, et qui est pourtant essentiel dans les classes : l’envie et le goût de lire ! On pourra faire tous les débats qu’on veut sur ces deux voies d’accès au déchiffrage des mots, ça ne résoudra pas la question de l’accès au sens :
    – sens de l’acte de lire (à quoi ça sert de lire ?)
    – sens d’un texte (explicite et implicite)
    – sens des références culturelles d’un écrit
    Un professeur de CP a aussi ces questions-là à résoudre … et s’il restait au déchiffrage, ses élèves ne deviendraient pas des lecteurs, c’est-à-dire des gens capables de COMPRENDRE tous les écrits qu’ils VEULENT lire.

    Il y aurait aussi beaucoup à dire sur l’absence de remarques sur l’acquisition de l’écriture, que tu signales d’ailleurs. Juste un mot : Célestin Freinet, qui a beaucoup pratiqué la méthode globale, et avec succès, a été le premier à relier très fortement l’écriture à la lecture … et, évidemment, on ne peut pas écrire en global ! Pour les neuro-scientifiques, parler d’acquisition de l’écriture tendrait à annihiler la querelle qui les fait vivre !

    vendredi 18 avril 2008 à 14 h 52 min
  2. vu que je ne suis pas chez moi, je peux peux reprendre point par point tes propos. je préfère vérifier des passages du livre et voir si j’ai bien compris sinon je risque de déformer les propos de l’auteur. Ce sera l’objet du prochain commentaire 🙂

    je me focalise surtout sur ton deuxième paragraphe. Je ne suis pas sûr de comprendre exactement ce que tu veux dire. Il me semble aussi que tu défends la méthode globale. Soit ! Pourrais tu reformuler ? Notamment pour le
    – sens de l’acte de lire (à quoi ça sert de lire ?)
    – sens d’un texte (explicite et implicite)
    – sens des références culturelles d’un écrit

    merci d’avance
    🙂

    dimanche 20 avril 2008 à 13 h 56 min
  3. Micromégas

    Enfin je te réponds … c’est qu’il fallait que je mette un peu d’ordre dans mes idées, et un peu de temps pour les retranscrire …

    Ce qui m’étonne, lorsqu’on parle de lecture globale, est qu’on ne sait pas ce qu’on désigne : celle reprise et améliorée par Freinet (appelée ensuite méthode naturelle) n’est pas celle à laquelle ses détracteurs se réfèrent. Très souvent, ils se réfèrent à la méthode idéo-visuelle, promue dans les années 1970 par des didacticiens tels que Charmeux et Foucabert, et qui, c’est vrai, ont proscrit le décodage des mots (qu’il soit fait par la voie directe ou indirecte, d’ailleurs) pour préférer une approche de la lecture par le sens des textes et de l’acte de lire.

    Car il faut bien se rendre compte que pour qui ne sait pas à quoi ça sert de lire, ni quel intérêt on peut y trouver, la lecture est méprisable et son apprentissage ne se fait pas (de la même façon, un élève mauvais en math est celui qui n’y a pas trouvé intérêt : en cela, la lecture est comme tout savoir, sauf que l’absence de son acquisition est aujourd’hui considérée comme scandaleuse.) Cette méthode idéo-visuelle a donc eu cet immense avantage de chercher à donner du sens à l’apprentissage de la lecture -aux yeux des élèves- , à une heure où ce sens n’allait plus de soi (crise de l’école sous l’effet de la massification, crise économique sous le 1° choc pétrolier, crise de la culture sous l’effet de la décolonisation, crise de l’écrit enfin sous l’effet de la télévision – internet n’existait pas encore).

    Oui, les recherches sur l’apprentissage de lecture sont revenues sur cette méthode, qui s’est fourvoyée dans sa propre découverte. Oui, le décodage essentiel pour l’accès à l’écrit. Et il n’est plus aucun chercheur aujourd’hui pour affirmer qu’un apprentissage de la lecture qui ne s’appuierait pas sur la correspondance graphie-phonie serait efficace (et c’est bien pour cela que les Chinois apprennent aujourd’hui à lire en commençant par la retranscription phonétique des caractères, ou que les sourds apprennent à représenter les phonèmes par des gestes … mais tu en sais davantage que moi sur cette question.)

    Mais le décodage ne fait pas tout. Et lorsque je lis qu’il n’y a que deux voies pour apprendre à lire, et que c’en est en fait qu’une seule, le décodage, je vois qu’il y a méconnaissance du sujet, à savoir ce qu’est l’apprentissage de la lecture dans une classe. L’approche exclusive par le décodage fait comme si l’apprentissage de la lecture était une mécanique. Or apprendre à lire et écrire est aussi une aventure culturelle. Et il est nettement plus difficile dans une classe – car jusqu’ici c’est bien dans les classes qu’on apprend à lire – de mener cette aventure culturelle que de mettre en place cette technique. Et l’aventure culturelle est primordiale, car c’est elle qui donne le sens aux apprentissages de la technique. Que signifie cette aventure culturelle : qu’il faut être convaincu par l’écrit pour apprendre à lire et écrire. Des chercheurs comme Fijalkow ont écrit dans ce sens.

    Pourquoi cette aventure culturelle est nécessaire aujourd’hui ? Parce que chaque famille ne l’a fait pas vivre à ses enfants, alors que chaque famille veut que ses enfants réussissent. C’est là qu’est le paradoxe aujourd’hui : faire confiance et se méfier de l’efficacité de l’école, vouloir et ne pas vouloir de la culture dominante. C’est pour cette raison que l’école doit convaincre de son bien fondé, en même temps que de la légitimité de ce qu’elle transmet, en même temps que le sens de l’écrit. C’est à cela que sert la pédagogie, tellement décriée aujourd’hui par nos gouvernants, tellement niée par des chercheurs tels que Dehaene, qui n’est pas le seul … Les neurosciences font comme si ces recherches en pédagogie n’avaient jamais eu lieu, comme si les dispositifs de classe, les relations entre les élèves et le maître, entre la famille et l’école, entre culture dominante et contre-cultures n’avaient jamais posé problème dans les classes, comme si l’apprentissage se résolvait à un problème de transmission entre neurones, alors que le problème actuel est un problème d’appropriation culturelle. Goigoux, didacticien de la lecture-écriture recherche actuellement quelles sont les meilleures conditions de classe pour que cette appropriation se fasse, dans un contexte où même l’école n’est plus convaincue de son efficacité …

    Et maintenant pour te répondre : suis-je plutôt pour la méthode globale ? Si on désigne par là la pédagogie Freinet, oui, je suis pour la globale.
    – Car cette méthode favorise autant la reconnaissance globale des mots que leur identification par voie grapho-phonétique, puisque les élèves écrivent autant qu’ils lisent, sinon plus. Or, pour écrire, on est bien forcé de passer par la voie grapho-phonétique.
    – Car cette démarche vise à convaincre les élèves du bien fondé de l’écrit, puisqu’ils commencent par apprendre à lire et écrire leurs propres textes, pour découvrir peu à peu les textes sociaux et culturels environnants. De plus, lire et écrire se fait en projet : les élèves écrivent des journaux de classe, des lettres à envoyer vraiment à des vrais gens.
    – Car cette pédagogie cherche autant à former des individus qu’à instruire des enfants. C’est à dire que les élèves ne sont pas réduits à leur état d’enfance, ou à leur état physique, physiologique ou neuronal, mais on leur donne des responsabilités dans le groupe, des moments et des lieux d’autonomie pour qu’ils s’éprouvent comme individus.
    Proche aujourd’hui de la pédagogie Freinet, il y ce qu’on appelle le socio-constructivisme ( Fijalkow).

    Tout cela est bien utopique et demande des maîtres géniaux ? Et oui bien sûr !!! Mais ce n’est sûrement pas en niant la réalité de leur travail qu’on va les aider à être géniaux !!! Faire croire qu’ils n’ont qu’à enseigner une technique qui ne connaît que deux voies, c’est de l’imposture ! Ah, non, mais, j’y suis arrivée à ma conclusion !

    jeudi 15 mai 2008 à 23 h 52 min

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