La notion d’individu dans le monde végétal (1)

Mosaïques : DossiersScience

vendredi 23 novembre 2012

Introduction

Mon billet, Toujours là, vieille branche ?!, qui abordait l’immortalité potentielle des arbres ainsi que certaines idées de Francis Hallé, a suscité un commentaire intéressant :

Monsieur Hallé est obsédé par l’idée que l’arbre n’est pas un individu mais une colonie, et a tenté au cours de différentes manipulations de prouver que des branches différentes d’un même arbre portaient des génomes différents. Ces démonstrations ont échoué. Les généticiens des populations qui travaillent sur les arbres échantillonnent diverses parties (feuilles, cambium, phloème) pour déterminer le génotype des individus. Ils ne se soucient pas de l’endroit où ils prennent la feuille, et les études montrent que le fait de considérer un arbre comme un individu unique n’est pas absurde (on retrouve, par exemple, grâce à la génétique les apparentements entre arbres (père, mère, fratries)). Les livres grand public de Monsieur Hallé présentent sa théorie sur cette question, si l’image d’une colonie marche pour les modèles architecturaux, elle est largement fausse pour les généticiens. Des expériences sont en cours pour mesurer, par séquençage haut débit, les différences intra-arbres.

L’auteur de ce commentaire est Sophie Gerber, chercheuse à l’INRA sur la génétique des populations. Elle fait remarquer que les idées de Francis Hallé ne sont pas nouvelles et remontent à l’époque du grand-père de Darwin. A savoir qu’un arbre serait une communauté et non un individu. La question se pose alors : qu’est ce qu’un individu chez les végétaux ?. Elle développe son point de vue en se basant sur les textes suivants qui abordent aussi bien la biologie que la philosophie :

  • Darwin C., 1882. La faculté motrice chez les plantes. Traduction Édouard Heckel, Schleicher Frères Éditeurs, Paris, 599.
  • Loeb L., 1937. The biological basis of individuality. Science, 86, 1-5.
  • Janzen D.H., 1977. What are dandelions and aphids ? The American Naturalist, 111, 586-589.
  • Hull D.L., 1978. A matter of individuality. Philosophy of Science, 45, 335-360.
  • White J., 1979. The plant as a metapopulation. Annual Review of Ecology and Systematics, 10, 109-145.
  • Clarke E., 2012. Plant individuality : a solution to the demographer’s dilemma. Biology and Philosophy, 27, 321-361.

Bien que cent trente années séparent le plus ancien du plus récent des textes retenus, son choix a été guidé par la question de la notion d’individu, ainsi que par son application au monde végétal. Merci donc à Sophie Gerber de s’exprimer dans cet espace.

La faculté motrice chez les plantes (Charles Darwin)

Avec The power of movement in plants, Charles Darwin publie, le 6 novembre 1880, son avant-dernier livre qui sera disponible en français dès 1882. Darwin décrit dans cet ouvrage les différents mouvements possibles chez les plantes, de façon détaillée, et s’appuie sur ses propres expériences réalisées sur différentes espèces végétales.

Dans sa préface, Édouard Heckel, botaniste et traducteur, affirme la vie c’est le mouvement. Il oppose végétal et animal, définis classiquement par leur immobilité et par leur mouvement, mais cite Claude Bernard qui écrit que les plantes possèdent l’apparence du mouvement volontaire. Il cite également Geoffroy Saint Hilaire, qui, dans son Traité d’histoire naturelle des êtres organisés, écrit : Les animaux ont des mouvements autonomiques, et les végétaux des mouvements automatiques. S’appuyant sur le travail qu’il préface, Heckel dit alors : Aujourd’hui nous pouvons, après les conquêtes de Darwin, affirmer sans crainte d’être contredits, que si quelques végétaux sont doués, au moins dans certaines de leur parties, de mouvements dont l’ampleur et le but semblent indiquer une lueur de volonté, tous possèdent, et à un haut degré, une mobilité dont les manifestations surtout sensibles, dans les organes en voie d’accroissement, aux deux extrémités de l’individualité, constituent le phénomène de circumnutation (la circumnutation désigne, selon la définition de Darwin dans la première page de son ouvrage, la tige d’une plante grimpante se courbant successivement vers tous les points de l’horizon de manière que son extrémité en fasse le tour complet).

Le parallèle entre animal et végétal est central et marque toute la réflexion portée sur les plantes à qui sont prêtées des lueurs de volonté. L’individualité est définie comme la portion entre racine et extrémité aérienne, constituant l’organisme végétal, au même titre qu’un individu animal terrestre supérieur « classique » dont les contours et les limites, sans racine, s’identifient sans difficulté.

La confrontation animal-végétal est intimement liée au discours de Darwin : l’habitude de se mouvoir à certaines périodes est acquise héréditairement à la fois par les plantes et par les animaux. L’importance de l’hérédité, alors même que son fonctionnement lui est inconnu, est soulignée ici par Darwin. Il lie la faculté de mouvement des végétaux à leur capacité d’adaptation à l’environnement, et donc à la sélection, qui a prise sur ce caractère. Mais la ressemblance la plus frappante est dans la localisation de ces sensibilités, et la transmission de l’influence reçue, de la partie excitée à une partie voisine qui entre en mouvement. Cependant les plantes ne possèdent ni nerfs, ni centre nerveux : nous pouvons dès lors être amenés par là à penser que, chez les animaux, ces structures ne servent que pour une transmission plus parfaite des impressions et pour une communication plus complète entre les diverses parties.

Faut-il comprendre que les nerfs permettent juste aux animaux d’être plus parfaits et complets que les végétaux ? Il est à peine exagéré de dire que la pointe radiculaire, ainsi douée et possédant le pouvoir de diriger les parties voisines, agit comme le cerveau d’un animal inférieur : cet organe, en effet, placé à la partie antérieure du corps, reçoit les impressions des organes des sens et dirige les divers mouvements.

L’analogie avec l’animal est omniprésente, et si Darwin observe que les végétaux n’ont pas de nerfs, il leur trouve tout de même l’équivalent d’un cerveau dans la pointe radiculaire. La description très détaillée et technique du mouvement chez les végétaux, que Darwin propose dans son ouvrage, est analysée à la lumière du modèle de référence animal et doit s’y conformer ; la définition de l’individu chez les végétaux souffre du même problème.

Dossier « Le végétal, individu ou colonie ? »
La notion d’individu dans le monde végétal (2)
La notion d’individu dans le monde végétal (3)

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