Cerveau bipolaire ? Foutaises !

Mosaïques : HumanusScience

dimanche 15 novembre 2009

Si tu ne sais pas quoi faire, alors va taper sur un moteur de recherche les mots clés suivants : « hémisphère droit gauche » ou « cerveau gauche droit » et tu trouveras plein de sites t’expliquant comment exploiter au mieux la totalité de ton cerveau. Plus précisément mieux connaître l’hémisphère que tu utilises le plus : si c’est la gauche, alors tu es un être rationnel et logique, voir un peu froid. Au contraire, si tu privilégies le droit, tu laisserais libre court à tes émotions et à ton imagination, bref à ta créativité. Bien sûr que j’exagère mais n’empêche que pour beaucoup, l’hémisphère gauche est le siège de la raison et de la logique tandis que l’hémisphère droit est le siège du désir et des passions. La partie gauche étant dominante sur la partie droite, celle-ci devenant un puissant levier de l’inconscience. Et, entre ces deux hémisphères, se trouver le corps calleux : une sorte de « pont » constitué de nombreuses fibres nerveuses permettant le dialogue entre les deux hémisphères.

Hémisphères cérébraux : bureaux et ordinateurs pour la gauche contre jardins et fleurs pour la droite
[Source image]

J’ai toujours détesté cette vision du cerveau car elle est trop simpliste pour moi et fait référence, une fois de plus, à la dualité de l’humain. Comme si le monde ne pouvait être que bipolaire : la femme et l’homme, le mal et le bien, le méchant et le gentil, le pauvre et le riche, l’homo et l’hétéro alors que chaque fois le monde se révèle plus complexe et plus ambigüe. C’est tellement facile et rassurant de s’enfermer dans un raisonnement simpliste, d’où le succès toujours en vigueur du « cerveau bipolaire ». D’autant plus qu’il privilégie les stéréotypes sexuels : l’homme utilisant principalement l’hémisphère gauche et la femme le droit. Il n’y a alors qu’un pas à franchir vers la supériorité des races, pas aisément parcouru par tous les racistes et les fascistes de tout poil.

La notion du « cerveau bipolaire » renvoie également à un fonctionnement par zones cérébrales : une zone pour l’audition, une zone pour l’ouïe, une zone pour la mémoire sans oublier la zone pour la branlette. Ce type de fonctionnement est remis en cause par les dernières découvertes qui privilégient le fonctionnement par réseaux : il n’y a pas de zone précise mais un dialogue permanent entre toutes les parties cérébrales. Si une partie est affecté, elle peut être prise en charge par d’autres parties, c’est la puissance de la plasticité cérébrale qui permet un apprentissage perpétuelle durant notre vie. Comme le fait d’apprendre une nouvelle langue, d’utiliser son bras gauche lors de l’amputation du bras droit, etc.

Nous n’en sommes qu’aux balbutiements de la compréhension de notre cerveau, même si la recherche dans les neurosciences a fait d’énormes pas dans a deuxième moitié du 20e siècle. Nous avons beaucoup de choses à apprendre et à découvrir et encore je ne suis pas sûr que l’on puisse réellement saisir la complexité cérébrale à tous les niveaux. Alors, de grâce, ne réduisons pas le cerveau à une énième variante du Dr Jekyll et de Mr Hyde. Au fond, n’est ce pas paradoxal que nous observons et étudions le cerveau avec notre propre cerveau ?

Pour finir, je vous invite à parcourir l’article publié dans Charlatans : Cerveau droit, cerveau gauche : le mythe. Et aussi de lire l’extrait ci-dessous (pages 22 -23) tiré de l’excellent ouvrage de C. Vidal et D. Benoit-Browaeys : Cerveau sexe et pouvoir

La théorie des deux cerveaux
L’idée que les hémisphères ne sont pas équivalents et que chacun a sa spécialisation est ancienne, mais la « théorie des deux cerveaux » lancée dans les années 70 par trois neurologues de l’Université Harvard, Geschwind, Levitsky et Galaburda, l’a largement popularisée. Selon cette approche, chaque hémisphère cérébral joue un rôle particulier : on parle de « latéralisation » du cerveau. L’hémisphère gauche est considéré comme le spécialiste du langage et de la pensée rationnelle. De son côté, l’hémisphère droit est vu comme le siège de la représentation de l’espace et des émotions. Cette conception s’est d’abord fondée sur des observations anciennes réalisées chez des patients porteurs de lésions cérébrales. Paul Broca, notamment, en 1861, avait repéré dans l’hémisphère gauche une zone systématiquement endommagée chez des sujets ayant perdu la capacité de parler (aphasie). (Cette zone importante pour le langage fut d’ailleurs nommée « aire de Broca »). D’autres corrélations ont suivi, permettant de relier région lésée et perte de fonction. Une lésion survenant dans l’hémisphère droit induit généralement une altération des capacités à percevoir les formes et à s’orienter. De proche en proche, une cartographie du cerveau a pu être établie, avec des aires nécessaires à la vision, l’audition, la motricité, le langage, etc.

Ces observations ont été très importantes à l’époque pour la compréhension du fonctionnement du cerveau, dont l’étude commençait à peine. Cependant, il faut garder à l’esprit que les effets de lésions cérébrales doivent être interprétées avec prudence. Car le fait d’observer un trouble fonctionnel suite à la lésion d’une région n’implique pas obligatoirement que cette région soit le siège de la fonction. Par exemple si la parole disparaît, cela signifie que la zone touchée est nécessaire à l’expression verbale, mais elle n’est pas forcément suffisante. Le déficit induit par une lésion ne dit pas tout d’une fonction.

Malgré des bases expérimentales manifestement peu étayées, la théorie des deux cerveaux a séduit beaucoup de monde car elle est simple et cristallise une représentation bipolaire du monde. On ne s’étonnera pas que cette théorie soit devenue le creuset de toutes sortes de spéculations plus ou moins mystiques. Dans les années 70, à l’heure où le mouvement hippy recherchait des méthodes d’épanouissement, de nouveaux gourous ont exploité le filon symbolique des deux cerveaux, présentés comme le yin et le yang. A gauche le langage, la raison, l’esprit d’entreprise et tout ce qui représente les valeurs de l’Occident. A droite, la perception de l’espace, l’affectivité, la contemplation et les valeurs de l’Orient et de l’Asie. Nombres d’ouvrages et de stage « d’initiation » proposaient des méthodes pour « penser équilibré ». Et le filon n’est toujours pas épuisé ! Ces arguments sont toujours utilisés dans une certaine presse grand public, comme en témoigne cet extrait : […] en cette fin de siècle, nous avons plus que jamais besoin d’un cerveau complet. Le droit pour imaginer et prévoir, le gauche pour vérifier et construire. En effet, les certitudes économiques, industrielles et sociales s’écroulent – sécurité et rationalité -, il faut faire appel à d’autres systèmes – mobilité et créativité – qui ouvrent la voie à une société beaucoup plus « cerveau droit » […] La femme avec son corps calleux riche en connexions semble donc bien placée pour s’adapter et dessiner le futur.

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4 Pierrot ont pris leur plume. Et toi ?

  1. Salut,

    Merci pour cette note ! Je pense que ce bouquin pourrait t’intéresser : 50 Great Myths of Popular Psychology : Shattering Widespread Misconceptions about Human Behavior

    Bonne journée.

    Fab.

    mardi 17 novembre 2009 à 9 h 53 min
  2. Sirtin

    La holà,

    Merci pour le lien. Ca a l’air d’être un pavé.
    🙂

    Bonne journée à toi aussi.

    mardi 17 novembre 2009 à 12 h 17 min
  3. C’est vrai que le cerveau est extraordinairement plastique et qu’il ne faut pas tomber dans une néo-phrénologie caricaturale. Mais il ne faut pas jeter le bébé avec l’eau du bain non plus. La cartographie des zones du cerveau ne s’appuie pas seulement sur des « bases expérimentales manifestement peu étayées »! Grâce à l’imagerie cérébrale on peut voir en direct « s’activer » certaines zones lors de tâches spécifiques. Et chez certains patients épileptiques à qui on a dû planter des éléctrodes dans le cerveau, on repère directement ce à quoi répondent certains neurones. A l’inverse inhiber certaines zones cérébrales par des techniques magnétiques (TMS) rend spécifiquement certaines tâches difficiles à réaliser. Bref la cartographie du cerveau s’appuie sur des preuves solides.
    La reconnaissance des formes (et des lettres, voir ce billet, un peu de pub quand même 😉 ) a sa zone, l’estimation des quantités a la sienne, l’émotion a son centre tout comme la fabrication des souvenirs etc. Certaines capacités sont latéralisées, d’autres moins, un peu comme le reste de notre corps. Alors forcément certaines aptitudes sont plutôt traitées à gauche et d’autres plutôt à droite. Pourquoi serait-ce plus choquant que de savoir son cœur à gauche et son foie à droite?

    mardi 17 novembre 2009 à 23 h 22 min
  4. Sirtin

    Mea culpa, j’ai écrit un peu « à chaud » et en relisant mon article, il est vrai que certains propos mènent à confusion. Certes, il existe plusieurs aires cérébrales qui s’occupent d’une tâche comme l’aire visuelle, auditive, etc. Ce que je remets en cause est que ces zones soient délimitées par des « frontières » précises et qu’ils n’ont qu’un seul rôle. Pour exemple, l’aire visuelle est très complexe car il s’agît de reconstituer l’image à partir de plusieurs composantes: le mouvement, la couleur, la position… C’est pourquoi, plutôt que parler de « zones », on privilégie en ce moment le terme de « réseaux ». Ils occupent une certaine position du cerveau mais les frontières sont plus mouvants et surtout c’est la connexion des réseaux qui permet une tâche complexe de se réaliser. Un exemple: le langage qui sollicite aussi bien l’hémisphère gauche que droit. Voici un extrait (source: le cerveau à tous les niveaux)

    Une autre bonne raison de distinguer entre ces deux aspects du langage, c’est qu’ils sollicitent des régions différentes du cerveau. En effet, chez la grande majorité des gens, c’est l’hémisphère gauche qui permet de formuler et comprendre le sens des mots et des phrases. Mais pour ce qui est de la connotation émotionnelle des mots, qui est transmise par la musique de la langue, c’est l’hémisphère droit qui s’en occupe.

    Ce passage va dans le sens du « cerveau bipolaire » mais n’allons pas non plus tout mettre les œufs dans le même panier. C’est là que je conteste cette notion à vouloir mettre la logique uniquement à gauche et l’émotion à droit et que notre vie soit régie par un équilibre délicat de notre utilisation des hémisphères. Ben voyons !

    Un autre exemple des possibilités des réseaux du cerveau est la plasticité cérébrale. Ainsi les aires visuelles d’un aveugle de naissance peuvent être activées par une autre perception sensorielle comme le toucher. Rien n’est fixé complètement.

    J’espère avoir été plus clair.
    😛

    mercredi 18 novembre 2009 à 12 h 38 min

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