Et le public dans la vulgarisation scientifique ?

Mosaïques : CogitationsScience

samedi 30 avril 2016

En flânant à la bibliothèque, je suis tombé par hasard sur le livre de Cécile Michaut, journaliste scientifique : Vulgarisation scientifique : mode d’emploi. L’étant pas bien gros, je me suis dis que j’allais apprendre quelques trucs en plus et hop, une petite bouchée de plus !

Livre Vulgarisation scientifique : mode d'emploi
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Ce livre s’adresse surtout à des chercheurs afin de les encourager à partager leur passion pour les sciences et la découverte. Il décrit les différents modes de vulgarisation (livre, conférence, expositions, animations, bar des sciences, théâtre…), les règles de base, les pièges à éviter (connaître son public, choisir le message à faire passer…), sans oublier les relations journalistes-chercheurs et les questions juridiques (liberté de parole et droit d’auteur).

Il faut dire que les français, comme les allemands ou les japonais sont bien plus réticents à vulgariser leurs recherches que les Anglo-saxons. Apparemment, l’idée reste bien ancrée que la vulgarisation est réservée aux « mauvais chercheurs » qui ont besoin d’un semblant de légitimité. En tout cas, nous ne pouvons nier le fait qu’il n’existe pas de réelle formation à la vulgarisation de les cursus de science, que les étudiants ne sont pas forcément amenés à sortir un peu des laboratoires pour aller vers le grand public. Ce dernier a également son mot à dire dans les débats. C’est là qu’intervient le livre de Cécile Michaut en délivrant quelques clés.

Fort bien. J’avoue que je n’ai pas appris vraiment de nouvelles choses si ce n’est cette formulation d’Étienne Klein : Vulgariser, c’est clarifier, ce n’est pas simplifier. Joli et je suis entièrement d’accord avec lui. Pour en rajouter une couche dans ce sens, je reprends la couverture du livre Vulgarisation scientifique : mode d’emploi en gros plan car dessus figure une caricature de Pétillon où le public demande à des chercheurs : Pouvez-vous expliquer simplement pourquoi c’est compliqué ?.


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Et là surgit une remarque : et le public ? Lors de mes animations et de mes visites guidées, j’essaie toujours de faire participer le public dans la mesure du possible. Comment ? En leur posant des questions, en leur faisant réfléchir plutôt que d’apporter bêtement la bonne réponse ou des explications toutes faites. Je trouve qu’il est plus intéressant qu’un dialogue s’installe entre le médiateur et le public, au même niveau. Voire même qu’une personne prend la place du médiateur pour expliquer au groupe ce qu’il sait (ou croit savoir).

Parfois, ça marche et c’est très vivant. Le plus souvent, un silence s’installe et personne n’ose faire le premier pas. En fait, peu de gens savent dire qu’ils ne savent pas. Pour éviter d’être démasqués, ils ne posent pas de questions. Il y a aussi l’effet de groupe où tout le monde attend que son voisin fasse le premier pas. Le regard de l’autre joue très fortement et le téméraire qui a franchi la ligne a des fortes chances de se dire Merde, je dis n’importe quoi ! Je suis nul, que vont-ils penser de moi ?. Sans oublier le formatage où nous sommes tellement habitués à être face à celui qui sait : le professeur, le savant, le politicien, le parent… C’est grâce à Lui que nous avons accès au Savoir. L’apprentissage par soi-même via une démarche scientifique reste encore peu courant.

C’est là que j’interviens où j’essaie de déminer ce terrain sensible pour amener à que l’autre s’exprime avec ses mots et ses représentations. Des fois j’y arrive, d’autres fois non. Et je me suis dis que c’est un facteur que nous avons tendance à oublier. Combien de fois j’ai assisté à des conférences où la parole du public est parfois sacrifiée parce que le conférencier a pris du retard dans sa présentation ? Combien de conférences où les questions du public sont possibles seulement une fois la parole du conférencier achevée, soit 1h après ? Là encore, c’est le chercheur qui est mis en avant, pas le public.

Imaginons une conférence où le conférencier parle 15 min, puis interpelle le public pour qu’il ait droit à la parole. Et ainsi de suite. Est-ce trop difficile ? Trop inhabituel ? Un dialogue plutôt qu’un monologue, est-ce possible ? Et là le livre de Cécile Michaut n’en parle pas assez à mon goût. Ni dans les autres ouvrages de vulgarisation scientifique. C’est pourquoi je répète ma remarque : vulgariser fort bien. Et le public dans tout ça ?

Y compris toi qui lis mon billet ! Mon cher lecteur, ma douce lectrice. Ou plutôt devrais-je dire moi, ton blogueur préféré ? Ton vulgarisateur qui t’agace, t’étonne, te fait réfléchir ? Ou rien de tout cela ?

Qui sait ?

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5 Pierrot ont pris leur plume. Et toi ?

  1. Merci pour cette question ! J’aime beaucoup votre réponse et c’est une question que j’adore.
    Pourquoi ? Parce ce qu’elle est la première que je me pose quand je commence à travailler. Je m’explique. Je ne suis pas scientifique, je travaille avec des scientifiques, des muséographes, des commissaires d’exposition, pour écrire et réaliser des films qui vont expliquer des notions, soutenir un questionnement, accompagner le visiteur dans sa compréhension.
    Avant même de me plonger dans les notions que souhaite faire passer le scientifique, je m’interroge. Qu’est-ce que je connais sur le sujet (souvent pas grand chose, je l’admets volontiers)? Ensuite, j’interroge mes contemporains (en « vrai » ou en lisant leurs blogs, leurs commentaires) : que savent-ils sur le sujet ? Qu’est-ce qu’ils croient vrai, ou faux ? Quels sont leurs apriori, leurs ressentis ? C’est avec les réponses à ces questions que j’aborde le sujet.
    Au moment d’écrire le scénario, de proposer ma vision, je sais que je vais devoir lutter contre tel ou tel préjugé, ou, au contraire, m’appuyer sur un savoir déjà bien répandu. A moi, ensuite, avec les outils de la réalisation et du film d’animation (et ils sont nombreux), de construire un film qui va donner envie d’aller plus loin, et qui va correspondre aux souhaits de mes commanditaires.
    En tant que public, j’aime ressentir l’attention que le vulgarisateur apporte à mon « apprentissage », son empathie pour mon ignorance et son envie que je comprenne ce qui habite son cerveau. Je pense à Tania Louis de Biologie tout compris, par exemple. Son discours est toujours clair, sans jargon, structuré et sympathique.
    Merci pour votre article !

    lundi 2 mai 2016 à 11 h 04 min
  2. Bonjour,

    Ce livre s’adresse avant tout aux vulgarisateurs débutants, c’est probablement pour cette raison que vous n’avez « pas appris de nouvelles choses ».
    J’y parle de tous les styles de vulgarisation, dont ceux hors de la présence du public (livres, blogs, articles de revue…). Néanmoins, j’y souligne l’importance de faire participer le public dès que c’est possible.
    Ainsi, p. 101, « lorsqu’on fait participer [le public] à une expérience, non seulement il est plus attentif, mais il accepte mieux les résultats et les retiendra davantage. » J’y raconte une conférence qui m’avait marquée à Londres, où le professeur faisait participer les élèves aux expériences de physique… avec enthousiasme garanti.
    Dans de nombreux autres passages, je souligne l’importance d’écouter le public :
    p. 35 : « l’idée est ne ne pas uniquement exposer son savoir mais aussi d’écouter ce que le public exprime » […] « Le contact avec le public est, à mon avis, indispensable au vulgarisateur » […]
    p. 36 : « Interagir avec le public, c’est s’exposer.[…] Mais c’est aussi le meilleur moyen de tester nos arguments, de voir ce qui fait mouche et ce qui ennuie. Et surtout, ce contact peut s’avérer un réel plaisir. »
    p. 37-38, à propos des bars des sciences : Ceux-ci « ne doivent surtout pas devenir des exposés formel, leur originalité (et probablement leur succès) est dû au fait qu’il s’agit de conversations entre les scientifiques et le grand public ».
    etc.

    J’aurais certes pu insister encore davantage sur cette participation du public. Comme vous,je pense qu’elle est primordiale dans toute vulgarisation en présence du public. Pour les autres types de vulgarisation (web, livres…), ce contact est plus indirect via les commentaires ou les signatures en librairie par exemple.

    Cécile Michaut

    lundi 2 mai 2016 à 12 h 09 min
  3. Sirtin

    Merci beaucoup pour vos retours qui permettent de prolonger et d’enrichir le billet initial !

    Il est vrai que le contact est indirect sur d’autres types de vulgarisation comme les livres, les blogs… Je pensais surtout au contact direct face au public et ceci est encore une autre histoire.

    mardi 3 mai 2016 à 18 h 08 min
  4. Oui c’est vraiment crucial cette participation du public !
    Et son manque tient sans doute à l’enseignement « à la française » lui aussi très vertical et à sens unique.
    En médiation indirecte (création de contenus multimédias) nous sommes confrontés à l’impossibilité de l’interaction, donc nous devons surtout anticiper les questions, jouer les « candides », être très pédagogues. Nous sommes les « passeurs » entre les scientifiques que nous interviewons (quand le contenu est à base d’interviews) Mais même en médiation indirecte la participation n’est pas impossible, elle peut passer par l’écriture (interpellations), les défis – jeux d’observation, petites énigmes, etc.

    mardi 28 juin 2016 à 16 h 30 min
  5. Sirtin

    Merci pour ton retour et il paraît que dans les pays anglophones, la médiation est moins verticale. Un reste de notre passé royaliste ?

    mardi 28 juin 2016 à 19 h 57 min

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