Qu’est ce qu’une espèce ?
Mosaïques : Cogitations • Science
samedi 19 décembre 2009
Mon billet, Es-tu vivant ?, abordait la difficulté de définir la vie qui est pourtant le sujet d’étude des biologistes. Comme si ça ne suffisait pas, ils travaillent également sur un autre concept tout aussi flou : l’espèce. La définition la plus communément admise (qui est aussi celle que j’ai apprise lors de mes études de biologie) est la suivante :
Une espèce est une population ou un ensemble de populations dont les individus peuvent effectivement ou potentiellement se reproduire entre eux et engendrer une descendance viable et féconde, dans des conditions naturelles.
Tu peux le vérifier toi-même en devenant amateur de zoophilie : tu peux baiser à tout va, avec n’importe qui et n’importe quoi, tu n’auras pas de descendance hybride. C’est souvent le cas parmi tous les obsédés de la reproduction du Vivant. Y’en a qui sont quand même fortiche pour avoir une descendance hybride comme le bardot, croisement d’une ânesse et d’un cheval ou le mulet, croisement d’un âne et d’une jument. Mais bernique, le bardot et le mulet sont stériles et, à ce titre, les chevaux et les ânes restent deux espèces distinctes. Ouf, la définition est sauvée !
N’empêche que définir une espèce n’est pas une sinécure et le critère de l’inter-fécondité n’est pas toujours pertinent. Chiens et loups sont considérés comme deux espèces, bien que très proches. Pourtant, certaines races canines peuvent avoir une descendance féconde avec les loups. D’autres auraient du mal avec leurs propres congénères : imagine le cric-crac entre une caniche et un doberman. Je plains l’accouchement de la caniche ! Du coup, on bricole en classant les chiens comme sous-espèce des loups et hop, c’est arrangé bibi !
[Source image du caniche] + [Source image du doberman]
Que dire également du colza, issu d’une hybridation naturelle entre la navette et le chou ? Ce qui n’empêche pas de les considérer comme trois espèces distinctes… L’hybridation est monnaie courante chez les végétaux mais je connais mal ce domaine pour en dire plus. Par contre, les goélands bruns et argentés constituent un autre exemple classique. Ils cohabitent mais ils sont morphologiquement différents et ne s’hybrident pas car trop peu apparentés pour avoir une inter-reproduction. Ils restent reliés entre eux par une chaîne de sous-populations pouvant se reproduire entre-elles. Du fait de la présence des ces populations intermédiaires, les goélands bruns et argentés font partis de la même espèce qui forme alors une « continuité en anneau »: c’est la variation clinale.
Les variations des populations inter-fécondes (ici représentées par des blocs de couleurs) le long d’une cline peuvent suivre une courbe, formant au final un anneau. Cependant les blocs vert et rouge ne peuvent pas s’hybrider.
Les bactéries s’y mettent aussi à chambouler le concept d’espèce par leur mode de reproduction : asexuée. C’est à dire qu’ils se reproduisent par clonage, la cellule-mère se divise en deux cellules-filles identiques. Pouvons nous affirmer pour autant qu’un organisme est une espèce à lui seul ? Sans compter qu’il existe une forme de reproduction sexuée entre plusieurs bactéries, dans le sens d’un transfert horizontal de gènes entre deux organismes distincts. Ce transfert est donc susceptible d’introduire de la variabilité dans le génome bactérien. C’est encore pire pour ceux qui alternent la reproduction sexuée et asexuée ! Si, si, il y en a: les méduses qui ont un cycle de vie assez compliqué, réparti entre la forme « polype » (fixe, « végétale ») et la forme « méduse » (mobile, « animale »). A ce propos voir l’image ci-dessous.
Alors, comment définir une espèce dans ces conditions ? Le débat reste toujours entier. Au niveau morphologique, ce n’est pas toujours pertinent comme l’atteste la variété des caractères phénotypiques au sein des chiens et des chats. Comment isoler un ensemble de caractère constant et désignant tous les organismes d’une même espèce ?
Cette question se retrouve particulièrement parmi les espèces jumelles. Deux espèces sont jumelles si elles sont morphologiquement très proches, voire identiques, mais d’origines différentes. Cette notion est apparue en 1919 par le généticien américain Alfred H. Sturtevant lorsque :
croisant des lignées mutantes de la mouche Drosophila melanogaster, il constata qu’il ne parvenait pas à croiser certaines lignées entre elles. Les lignées se répartissaient en deux lots mutuellement inter-stériles. Il avait là deux espèces de drosophiles qu’il ne pouvait identifier que par croisement. En effet, la nouvelle espèce était identique à l’autre, à l’exception de différences microscopiques des pièces génitales des mâles, visibles seulement à la loupe. Il appela cette deuxième espèce Drosophila simulans (« l’imitatrice »).
Et au niveau génétique ? Ce n’est pas ça encore comme l’illustre à merveille la bactérie Escherichia coli dont il existe trois souches différant les unes des autres par leur caractère pathogène : une non pathogène, une pathogène pour les voies urinaires et une pathogène pour les hématies. Bien qu’ayant environ 40% de gènes en commun, ces trois souches sont issues d’une même espèce. Dans cette optique, pourquoi les chimpanzés (Pan troglodytes) et les humains (Homo sapiens) sont considérés en tant qu’espèces distinctes malgré le fait qu’ils partagent 99% de leur génome ? Parce qu’ils ne peuvent pas avoir de descendance fertile !
Comme tu peux le voir, la notion d’espèce est très floue et résulte le plus souvent d’un arrangement pratique pour définir les relations de parenté entre les êtres vivants. Ils dépendent davantage de nos représentations que d’une réalité objective et indépendante. C’est pourquoi j’adore l’ornithorynque, inclassable à tous les points de vue, tant sur le plan morphologique que génétique !
En savoir plus…
– La définition de l’espèce : morphologie et génétique
– Doit-on abandonner le concept d’espèce ?
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Mais mais mais… mais tu t’attaques à gros là! Peut être que tu aurais du commencer par le plus important: une espèce est un outil de classification, un concept humain qui n’a pas de véritable réalité dans la nature: c’est pour ça qu’il y a de telles difficultés à trouver une définition de l’espèce… Et c’est pourquoi chacune des affirmations de ton article sont susceptibles d’être contredites, de par la nature même de l’évolution.
Ben… y’a pas eu énormément d’essai que je sache? Oui on partage 99% de notre génome avec le chimpanzé et oui on est assez proches du point de vue morphologique… Il y a de nombreux scientifiques qui pense que la barrière de fertilité entre les hommes et les chimpanzés ne s’est pas installé d’un point de vue biologique… et que donc seul l’aversion d’une telle idée, une barrière psychologique si tu veux, limiterait les exemples dans la nature.
Et puis pour le coup de l’ornithorynque, sa classification n’a plus posé énormément de problèmes de puis l’avènement des outils moléculaires…
Chouette, j’avais pensé que tu réagirais à mon billet, pari réussi !
😀
Oui, je m’attaque à un morceau assez coriace, qui n’est d’ailleurs pas ma spécialité mais j’espère avoir entamé une petite réflexion dessus tellement nous n’abordons pas assez le terme d’espèce dans sa définition même. Rien ne t’empêche de faire un article plus précis que le mien.
😉
Ah ça, où lirais tu que des scientifiques se « sont dévoués corps et âme » à la science en baisant avec les chimpanzés pour voir si il y a bien une descendance, fertile de surcroît ? Certainement pas dans Nature ! D’accord avec toi pour la barrière psychologique (la même qui empêche de classer les chimpanzés et les bonobos dans le genre « Homo »).
Moui, comment expliques tu les 5 paires de chromosomes sexuels chez l’ornithorynque ? Et le patchwork de son génome dont je cite un extrait ?
Pas besoin de forniquer avec des chimpanzés pour faire le test : on peut essayer d’abord in vitro …
Mais quelle serait la mère porteuse : une « homo » ou une « pan » ?
😉
Le concept d’interfécondité a été posé à une époque ou les charmantes bactéries et leurs non moins charmants modes de reproduction étaient presque inconnues, normal qu’elles viennent compliquer les choses. Les biologistes qui essayent de sortir une nouvelle définition d’espèces basé uniquement sur des critères génétiques auront bien du pain sur la planche…
D’accord mais pourquoi limiter une définition à une seule critère ? Non que ce soit plus simple d’en faire une avec plusieurs critères.