La musique, le cerveau et nous

Mosaïques : CultureLectures

dimanche 29 décembre 2013

J’ai redécouvert Oliver Sacks en me plongeant dans son livre, L’œil de l’esprit, qui m’a donné envie de lire son dernier ouvrage, Musicophilia – La musique, le cerveau et nous. C’est maintenant chose faite en profitant du calme avant la tempête, c’est-à-dire du repos intestinal entre les fêtes de Noël et les fêtes du Nouvel An. Une fois n’est pas coutume, je commence par la fin du livre :

La musique fait partie intégrante de notre humanité, et elle est hautement développée et prisée dans toutes les cultures humaines. Son omniprésence peut la banaliser dans la vie quotidienne : nous allumons la radio, l’éteignons, fredonnons un air, tapons du pied, retrouvons les paroles d’une vieille chanson qui nous revient soudain à l’esprit sans penser à ces actes. Mais les sujets engloutis dans leur démence sont dans une situation différente : pour eux, la musique n’est pas un luxe, mais une nécessité, et elle a le pouvoir à nul autre pareil de les rendre à eux-mêmes et à autrui, pendant quelques instants au moins.

Ce passage résume très bien Musicophilia qui multiplie les anecdotes sur les pouvoirs surprenants de la musique chez des personnes ayant un trouble neurologique plus ou moins marqué, de la maladie d’Alzheimer à celle de Parkinson en passant par les amnésies, les surdités à certains éléments musicaux et bien d’autres encore. Souvent, l’origine se retrouve dans les aires cérébrales qui subissent une transformation plus ou moins radicale et modifient par là-même l’individu dans les tréfonds de son identité.

Comme toujours, c’est un régal de suivre les réflexions d’Oliver Sacks sans qu’une réponse soit systématiquement apportée. Une fois de plus, il est frappant de constater que notre apparente unité en tant qu’individu dépend d’un délicat et subtil équilibre entre plusieurs processus neuronaux qui se déroulent chacun dans leur coin avant d’être synthétisés. Et la musique fait appel à un circuit à part entière, qu’elle soit hautement intellectuelle ou fait vibrer notre corde émotive ou les deux mon capt’ain.

J’avoue que j’en ai parfois bavé au début car il abordait des notions techniques telles que les hauteurs des notes, les harmonies ou le timbre, notions abstraites pour moi. Je me rends compte qu’au fond, on ne m’a jamais expliqué ces éléments de base de la musique. Du coup, je ne sais pas si ces derniers sont évidents pour tous les entendants ou seulement pour ceux qui ont reçu un minimum d’éducation musicale. Musicophilia m’a permis aussi de m’apercevoir que la musique qui trotte dans ma tête et se répand dans ma jambe, dans ma danse, est très différente de celle évoquée à travers les explications des protagonistes. A l’inverse, j’aurais enfin compris d’autres notions comme celle de l’oreille absolue.

Pour rappel, l’oreille absolue est l’aptitude, que possèdent certaines personnes, à reconnaître et déterminer sans référence préalable, le nom d’une ou plusieurs notes correspondant au son qu’ils entendent. Elle se différencie en cela de l’oreille relative, commune à tous les musiciens professionnels, et qui qui consiste à reconnaître ces notes, à condition que leur soit fournie au préalable une référence sonore.

Bref, je n’avais jamais saisi ces définitions jusqu’à que je tombe sur une citation de Diana Deutsch, chercheusesur la psychologie de la musique, les illusions musicales et sonores. Elle étudie, entre-autres, l’oreille absolue et pourquoi elle est si rare. Or, Diana Deutsch elle-même possède l’oreille absolue et nous fait partager son vécu :

Ma découverte de mon oreille absolue – et de la rareté de ce phénomène – m’a encore plus surprise quand j’ai appris, à quatre ans, que les autres personnes ont du mal à nommer les notes sans contexte. Je me souviens encore du choc que j’ai subi le jour où je me suis rendu compte que les autres avaient besoin de savoir quelle touche j’avais frappée pour pouvoir nommer les notes que je jouais au piano […]
Pour entrevoir à quel point l’absence d’oreille absolue paraît étrange à ceux et celles qui l’ont, pensez à la nomination des couleurs. Supposons que vous montriez un objet rouge à quelqu’un et lui demandiez de nommer sa couleur ; puis imaginons qu’il vous réponde : Je reconnais cette couleur et la différencie des autres couleurs, mais je ne puis lui donner de nom. Vous poseriez ensuite un objet bleu à côté de ce premier objet et nommeriez sa couleur, et on vous dirait : Bon, puisque la seconde couleur est bleue, la première doit être rouge. Je pense que la plupart des gens trouveraient ce processus assez bizarre. Or, pour quiconque a l’oreille absolue, c’est ainsi que les hauteurs sont nommées le plus souvent […]

Aaaah, enfin j’ai compris ce que veulent dire oreille absolue et oreille relative ! Or, cette incapacité commune de ne pouvoir reconnaître une note sans référence sonore me paraît tout aussi étrange, pour l’homme sans oreilles que je suis. Et pourtant, j’ai ma musique qui déborde en empruntant d’autres canaux, visuels, vibratoires et corporels notamment. Tout grâce à mes circuits cérébraux profondément ancrés dans chaque humain. En somme, la musique dépasse notre condition et nos limites pour mieux transcender nos possibilités, quelles qu’elles soient.

Livre Musicophilia
[Scan couverture]

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2 Pierrot ont pris leur plume. Et toi ?

  1. Arf… Ça fait au moins une année qu’il est dans ma pile « à lire », et il se retrouve toujours chassé plus bas par un autre bouquin dont je ne résiste pas à l’urgence de l’appel. Tu m’as vraiment donné envie de le lire, je vais revoir mes priorités.
    Ça fait drôle de te lire parler de musique. Je pensais naïvement que cela t’était complètement inaccessible. J’aimerais beaucoup en savoir davantage sur ce que tu appelles « ta » musique.
    Sur ta question des notions de hauteurs des notes, d’harmonies ou de timbre, spontanément accessibles ou pas par les entendants, mes 2 cents :

    sur les hauteurs de notes, je pense qu’on sait spontanément de quoi il s’agit. On apprend très jeunes qu’une voix d’homme est plus grave (en général) qu’une voix de femme, par exemple. C’est si vite acquis qu’on dirait que c’est inné. Oui, je pense que les entendants ont une compréhension spontanée des notions de grave/bas et d’aigu/haut qu’il s’agisse de musique ou de n’importe quel son ;
    sur les harmonies: c’est plus subtil. Je pense que la plupart d’entre nous peuvent dire spontanément qu’un son est dysharmonique (genre klaxon) ou plutôt harmonieux (genre musique, et encore, ça dépend laquelle 😉 ). Mais être capable de comprendre et d’expliquer pourquoi requiert en effet quelques notions théoriques ;
    idem sur le timbre. On distingue spontanément le barrissement d’un éléphant du son de la lyre. Mais là aussi, s’il faut décortiquer le phénomène et expliquer en quoi la nature des timbres diffère, aussi bien objectivement (caractéristiques physique du son produit) que subjectivement (ces sons déclenchent un cocktail d’émotions qui n’aident pas forcément à y voir clair), c’est vachement moins évident

    Voili voilou… À bientôt! Bonnes fêtes 🙂

    dimanche 29 décembre 2013 à 14 h 45 min
  2. Sirtin

    Merci pour les explications. OK, je distingue les graves et les aiguës. J’ignorais simplement le terme « hauteur » pour les désigner. Pour les harmonies, je pense comprendre ce que tu veux dire ainsi que le timbre.

    Quant à « ma » musique, je t’invite à lire mes billets suivants :
    Le regard du poète et le regard du scientifique plus centré sur la perception de la musique.
    Entre les bruits et entre les silences qui est plus porté sur la perception sonore globale (à partir de l’image).

    Mais que cela n’empêche pas de placer Musicophilia sur ta pile des livres à lire !
    😉

    Et bonnes fêtes à toi aussi !

    dimanche 29 décembre 2013 à 21 h 23 min

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