La notion d’individu dans le monde végétal (3)

Mosaïques : DossiersScience

mardi 27 novembre 2012

La plante comme une méta-population (James White)

L’article de White, publié en 1979, fait un tour d’horizon historique sur la façon de concevoir les végétaux. Il cite le grand-père de Charles Darwin, Erasmus Darwin, qui, en 1800, affirme que chaque bourgeon d’un arbre est un être végétal individuel. En 1750, des étudiants de Carl von Linné comparent la morphologie des plantes à celles des polypes (cnidaires : corail, anémones de mer), le parallèle animal-végétal, pissenlits-pucerons de Janzen, n’est donc pas le premier. Depuis Théophraste (4ème siècle avant Jésus-Christ), la manière de considérer correctement les plantes est discutée : envisagées en entier ou par morceaux tels que bourgeons, pousses, rameaux, feuilles, racines, modules (partie d’organe comprise entre deux étranglements) ou phytomer (unité structurale de la plante constituée par une feuille et la portion de tiges associée). Il faudrait trouver un juste milieu entre une subdivision et une expansion indéfinies.

En 1853, Alexander Braun, botaniste allemand, écrit une revue sur la question de l’individualité chez les plantes. Selon lui, un arbre n’est pas un individu unique mais est un monde unifié d’individus issus les uns des autres à travers une succession de générations. Cette conception est dans la continuité de celle d’Érasme Darwin et a notamment inspiré le mouvement d’étude de l’architecture des arbres tropicaux (Francis Hallé en France) avec en particulier la notion de réitération, phénomène qui récapitule le modèle architectural entier à partir d’un méristème. L’analyse architecturale d’un arbre peut alors suggérer que celui-ci est une méta-population. Les ouvrages de vulgarisation de Hallé comportent souvent une partie consacrée à la génétique des arbres. Conformément au modèle d’architecture décrit plus haut, un arbre pourrait être composé d’une population de génotypes ; cet auteur cherche depuis longtemps à le montrer.

Les généticiens des populations qui travaillent sur les arbres échantillonnent, pour génotyper, le matériel à n’importe quel endroit de l’arbre, en prenant une feuille, du phloème, du cambium ou des bourgeons. L’hétérogénéité attendue par celui qui étudie leur architecture ne correspond pas à l’expérience du généticien. Deux projets en cours sur des chênes cherchent à mesurer la variabilité à l’intérieur d’un même arbre, à partir du séquençage à haut débit de leurs ADN, échantillonnés à divers endroits. La question de la réalité de l’arbre vu comme une méta-population, au niveau génétique, pourra être une nouvelle fois abordée.

Les concepts de génération, de caractère, de phénotype, se rattachent à l’individu et Ellen Clarke souligne que, dans une vision évolutive, ces individus doivent être dénombrés pour préciser en particulier les questions de valeur sélective qui y sont liées. La nécessité de déterminer quel est l’élément à compter nous renvoie aux questions soulevées par White, qui montre comment les conceptions morphologiques de ces organismes modulaires, caractérisés par une croissance répétitive d’unités ou de modules auto-reproductifs, et ainsi les définitions des limites de leur individualité, ont évolué.

L’individualité des végétaux: une solution au dilemme du démographe (Ellen Clarke)

Clarke reprend l’idée d’un arbre vu comme une méta-population et cite Richard Bradley, qui, avant Erasmus Darwin, dès 1721, écrit que Les rameaux et les branches des arbres sont vraiment de nombreuses plantes poussant les unes sur les autres ; comme elles proviennent toutes de bourgeons ou peuvent plutôt être expliquées par des bourgeons, nous pouvons donc en déduire que les bourgeons qui les ont générés jouent à tous les niveaux le rôle de graines : les rameaux prennent racine dans les branches et les branches prennent racine dans la tige..

Extrait original de Bradley (p 64-65)

[Source extrait]

Les bourgeons dont sont issues chaque parties sont vus comme autant de graines. Ceci est repris par Whitham et Slobodchikoff, 260 ans plus tard, en 1981, l’idée de mosaïque étant décrite par l’expression un archipel d’îles génétiques distinctes mais similaires. Le généticien ne peut réellement retrouver dans cette interprétation les végétaux sur lesquels il travaille…

Deux méthodes de dénombrement peuvent être opposées. Dans la « ramet view » (un seul module ou un complexe de pousses qui peut être énuméré) ou « module view« , qui correspond à la vision d’une méta-population, la croissance est le composant majeur de la valeur sélective chez les organismes modulaires. La méthode démographique ou « genet view » (plante dérivée d’une seule graine) due à John Harper, en 1977, instaure un suivi des plantes identifiées comme provenant de graines. Les mérites des deux approches sont comparés. Clarke souligne la tendance à oublier que l’individu génétique est un « genet » idéalisé mais non réel.

Elle suggère de définir l’individu comme l’entité à compter permettant de générer des modèles de dynamique sélective précis et prédictifs. Il s’agit d’un individu évolutif. Elle cherche alors à établir une définition, sur la base de questions successives, afin de qualifier ce qu’est une population composée d’individus biologiques à compter séparément. Elle utilise pour cela des concepts de génétique (notamment la notion de variance génétique héritable…).

David Hull fait des propositions qui se veulent universelles et il cherche à déterminer un socle commun nécessaire aux définitions de l’individualité. Ellen Clarke examine la question dans le monde végétal et tente également de définir l’individualité en transcendant les particularités des espèces. Elle se concentre, comme David Hull, sur une approche évolutive. Elle fait appel à des notions de génétique qui interrogent ma connaissance et ma pratique de cette discipline.

Conclusion

L’individualité est un sujet aux facettes multiples. Face à la prééminence ancienne du modèle des métazoaires supérieurs, mais face aussi à la grande variabilité des espèces, les tentatives d’unification apparaissent utiles et néanmoins délicates à réaliser, convoquant côte à côte la philosophie et la biologie.

Dossier « Le végétal, individu ou colonie ? »
La notion d’individu dans le monde végétal (1)
La notion d’individu dans le monde végétal (2)

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