L’ontophylogenèse face au déterminisme génétique

Mosaïques : CultureLectures

mardi 30 décembre 2008

Lors de mes cours en biologie, j’ai bien sûr appris les fondements (et plus) de la biologie moléculaire et de la génétique. Comment se transmet un caractère héréditaire au sein d’une population donnée et quelles sont les mécanismes moléculaires autour de l’ADN ?

J’avais d’abord appris qu’un gène codait pour une protéine correspondant à une fonction précise dans la cellule. Ce schéma est séduisant par son apparente simplicité qu’il en est devenu un dogme. Au point que de nombreux « chercheurs » ont cherché LE gène de l’homosexualité, de l’obésité… Une tendance si ancrée en nous qu’un certain bouffon imbus de pouvoir a proposé un suivi précoce des jeunes délinquant potentiels (suivez mon regard courroucé…).

J’appris plus tard qu’en fait, il existe de nombreuses interactions entre les gènes et les protéines, chacun pouvant réguler l’autre. Ce qui induisait une subtilité plus grande. Puis, la complexité arrivait avec l’existence de nombreux gènes régulant le développement d’un organe. La formation d’un œil, par exemple, met en jeu une cascade d’événements issus de 2000 à 3000 gènes ! D’ailleurs, les résultats du décryptage du génome humain nous a rendu plus humble : nous avons peu de gènes face aux plantes et autant qu’un « minable » ver de terre. Notre soi-disant supériorité en prenait un nouveau coup (et j’en fus ravi). Nous somme maintenant au stade du protéinome, c’est à dire l’étude des interactions entre la totalité des protéines humaines recensées (en cours). Dans l’espoir de découvrir ce qui fait notre soi-disant (je me répète) spécificité.

Ne négligeons pas non plus la découverte récente de l’ARN interférant qui a bouleversé la biologie. Je rappelle que l’ARN (acide ribonucléique) est l’intermédiaire entre l’ADN (acide désoxyribonucléique) contenu dans le noyau de la cellule et les protéines fabriquées dans le cytoplasme de la cellule. Du statut de banal transporteur d’information génétique du noyau au cytoplasme, il est passe au statut de régulateur, tant au niveau de l’ADN que des protéines.

Je pourrais détailler à loisirs mais sachez simplement qu’ils ont en commun une base fondamentale admise par tous : l’ADN est le support de l’information génétique. Il est le plan qui contient les instructions régissant le bon fonctionnement des cellules et donc de l’organisme multicellulaire entier. La comparaison avec un programme informatique est fréquente.

Et voilà qu’un empêcheur de penser en rond vient chambouler tout ce bel édifice en critiquant le déterminisme génétique. J’ai nommé : Jean-Jacques Kupiec. Il dénonce le finalisme qui sous-entend la biologie moléculaire : un organisme vivant est entièrement contenu dans les instructions de l’ADN et les mutations génétiques ne seraient qu’un écart par rapport à cette norme. Selon leur effet bénéfique ou négative, ces mutations se propagent ou non via la sélection naturelle. Mais le finalisme (supposition d’un but ultime ou d’une signification présent dès l’origine) demeure et Jean-Jacques Kupiec affirme que si nous avons beaucoup avancé en biologie, compilé beaucoup de connaissances, notre vision sur la vie n’a guère évoluée. Nous restons encore sous l’influence de célèbres précurseurs comme Aristote.

Il propose et nomme une nouvelle théorie: l’ontophylogenèse qui a pour ambition de réunir l’ontogenèse (histoire du développement individuel) et la phylogenèse (histoire de l’espèce). Car pour lui, ontogenèse et phylogenèse indiquent la même chose : une sélection naturelle (à l’origine élaborée par Darwin et enrichie depuis) qui s’exerce à la fois sur l’espèce (au niveau des individus) ET sur l’individu (au niveau des cellules). Autrement dit, un organisme vivant est le résultat d’interactions aléatoires entre les gènes et les protéines. Là où nous voyons un programme contenu dans l’ADN, lui voit du hasard, de la probabilité et… de la sélection naturelle.

Ma dernière lecture de l’année 2008 m’aura chamboulé et mis la tête à l’envers. Et rien que pour ceci, je l’en remercie. Car il va loin: ce n’est pas seulement une nouvelle théorie qu’il propose mais un changement de paradigme, une autre représentation du monde et de voir les choses en fournissant une base différente. C’est bien la première fois que je vois l’esquisse d’un tel changement (Kupiec reconnaît lui même qu’il reste encore à perfectionner l’ontophylogenèse) et je suis très curieux de savoir la suite parmi les biologistes, et plus largement, dans la société.

J’ai quand même quelques critiques sur l’ouvrage : il emploi trop de redondance et j’en étais agacé par moment mais je le pardonne. Par contre, même si l’ouvrage s’adresse à un large public et que peu de termes techniques sont employés, je ne suis pas sûr que l’on puisse réellement saisir les enjeux de sa nouvelle théorie si l’on ne connaît pas les bases de la biologie moléculaire. D’où mon article un peu longuet… Mais si vous avez le temps, c’est vraiment un livre à découvrir et à lire ! Rarement, je fus aussi enthousiasmé…

Livre L'origine des individus
[Scan couverture]

Plus de détails…
L’origine des individus. Le dernier livre de Jean-Jacques Kupiec
Le chercheur Jean-Jacques Kupiec tire un trait sur le déterminisme génétique et les théories de l’auto-organisation

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5 Pierrot ont pris leur plume. Et toi ?

  1. panpan

    Je partage entièrement cette analyse!! Un livre à lire absolument! Il ouvre l’esprit à une nouvelle compréhension de phénomènes de biologie moléculaire qui sont enseignés d’une façon tellement linéaire qu’on en oublie presque qu’il sont soumis au hasard des interactions entre molécules… Le déterministe pourra toujours courir après un cofacteur hautement spécifique, c’est irréfutable… heureusement que Kupiec nous ouvre les yeux!

    vendredi 6 mars 2009 à 19 h 21 min
  2. Ca fait plaisir de voir que je ne suis pas le seul enthousiasmé ! Comme quoi, un livre peut être à la fois une aventure individuelle et collective.

    dimanche 8 mars 2009 à 16 h 52 min
  3. Je ne l’ai pas lu, mais je trouve étonnant de mettre de côté aussi facilement le déterminisme.
    Pour moi, la relativité d’échelle fractale + la théorie du chaos = un déterminisme au niveau psychogénéalogique + interactions aléatoires produisant certaines probabilités effectivement ..

    Une personne perdue dans la vie peut vite devenir asociale,
    Une personne bien alignée sur son ‘soi profond’ va pouvoir tirer le meilleur d’elle même et être heureuse de part le sens qu’elle aura donné à sa vie..

    samedi 1 mai 2010 à 22 h 12 min
  4. Sirtin

    Pour moi, la relativité d’échelle fractale + la théorie du chaos = un déterminisme au niveau psychogénéalogique + interactions aléatoires produisant certaines probabilités effectivement ..

    Euh, j’avoue que je n’ai rien compris à cette phrase. Je ne vois pas trop non plus le rapport avec les personnes asociales et alignées sur son « soi » profond…
    😕

    mercredi 5 mai 2010 à 23 h 51 min
  5. A lire impérativement !

    jeudi 10 février 2011 à 21 h 19 min

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