Le titre est en fait une citation célèbre du non moins connu Rabelais, humaniste du 16e siècle éclatant dans ses œuvres dont Gargantua et Pantagruel. Bien que j’apprécie beaucoup cette phrase, je m’en méfie car, comme toutes les célébrités en tout genre, elle a perdu son sens à force d’être utilisée et reprise sans réflexion, pour tout et rien. Plutôt que suivre les moutons qui se veulent sages et savants par de forts bêlements, tâchons de prendre un peu de recul. Quel message voulait délivrer Rabelais dans Science sans conscience n’est que ruine de l’âme ?

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J’étais toujours intrigué par cette sentence qui semblait sortir de nulle part. Ce n’est qu’après un petite recherche que je trouvais la lettre de Gargantua à Pantagruel contenant le passage suivant:

[…] Mais, parce que selon le saige Salomon sapience n’entre poinct en âme malivole et science sans conscience n’est que ruine de l’âme, il te convient servir, aymer et craindre Dieu, et en luy mettre toutes tes pensées et tout ton espoir, et par foy, formée de charité, estre à luy adjoinct en sorte que jamais n’en soys desanparé par péché. […]
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En lisant cet extrait, tout change car il y a une connotation religieuse. Bien qu’athée par conviction profonde, il me sautait aux yeux qu’il fallait se placer dans le contexte de l’époque. « Science », « Religion » n’ont certainement pas les mêmes significations que celles du 21e siècle. Définissons alors la Science comme un ensemble de faits objectifs et neutres destiné à mieux appréhender le fonctionnement et les mécanismes de notre environnement, notre monde. N’ayant que pour but de décrire la réalité sans se pencher sur les notions abstraites du mal, du bien et de la morale, domaines réservés à la Religion.

En partant de ce constat, la science peut être à double tranchant, avoir des conséquences merveilleuses ou désastreuses selon l’utilisation que l’on en fait. Les exemples sont nombreux : bombe atomique, OGM, clonage, pollution pour ne citer que les plus médiatisés. Être un adepte de la Science, (que l’on soit scientifique ou non) n’inclut pas avoir un esprit critique éclairé sur la suite des découvertes fondamentales ou appliquées. Comment avoir cet esprit critique ? Selon l’extrait ci-dessus, j’en déduis que Rabelais attachait de l’importance à la Religion en tant que guide spirituel, c’est à dire une éthique qui encadre la Science. A ne pas confondre avec la religion qui suivait les textes religieux plus ou moins littéralement.

Nous pourrions également citer Montaigne pour qui il vaut mieux une tête bien faite qu’une tête bien pleine. Gargantua exhorte son fils Pantagruel à toujours associer sagesse et connaissances. Sans la sagesse, les ruines de l’âme feront vite leur apparition, l’âme désignant tant l’individu que la société. L’individu perdra sa clairvoyance et s’enfermera dans ses codes, son monde, autrement dit dans sa tour d’ivoire : terme en vogue dès le milieu du 20e siècle. La société prendra le chemin de la déchéance et de la folie. Fol que celui qui croit que Science et Société sont séparables ! Il suffit d’observer les politiques qui ne ratent pas une occasion de se saisir d’une opportunité : scandale du sang contaminé, triste période de la vache folle, épidémie du SIDA toujours en cours… Sans compter leur volonté de se mêler des activités des laboratoires scientifiques.

Fol que celui qui croit que la Science se résume à mieux connaître le monde encore et toujours ! La Science nous montre autant notre savoir que notre ignorance. A chaque avancée, à chaque découverte, un abîme de questions s’ouvre sous nos pieds. Nous obligeant à nous remettre en question aussi bien pour le but à atteindre que pour les conséquences à suivre. Du moins, c’est ce que devrait se faire tout bon scientifique, par nécessité et par conviction. C’est là que le bât blesse : j’ai pu constater durant mes cours universitaires que l’aspect éthique est très peu abordé. La philosophie encore moins. Il me semble que la philosophie pourrait nous donner quelques pépites de sagesse, l’éthique quelques émeraudes de morale et la science quelques diamants de connaissance !

J’espère ne pas avoir dénaturé le sens premier de la citation de Rabelais et mes réflexions sont sans doute parcellaires, inachevées. La Science, c’est formidable à la condition de connaître sa part d’ombres, de garder notre esprit critique et notre recul.